L’adaptation estuarienne face aux risques fluviomarins : vers une nouvelle recomposition spatiale ?

Face aux défis apportés par le changement climatique et les dynamiques littorales, la recomposition territoriale permet d’envisager la future organisation socioéconomique et spatiale des territoires à des échelles spatiotemporelles variables. Ici, la recomposition est donc une réorganisation spatiale des territoires littoraux et rétro littoraux face aux enjeux qui les concernent (submersion, élévation du niveau marin, érosion, pressions anthropiques, etc.), faisant appel à une combinaison de différentes solutions et stratégies. Elle a pour objectif la mise en sécurité des biens et des personnes, la mise en réflexion de nouveaux aménagements, ou encore la réhabilitation de certains milieux naturels afin de retrouver des services écosystémiques. Malgré l’incertitude qui caractérise les changements et les risques, comment passer à l’action localement ? Quelles sont les particularités des solutions et stratégies d’adaptation répondant aux enjeux estuariens face aux risques côtiers et fluviaux dans un contexte d’élévation du niveau marin ?

Illustré par plusieurs études de cas, le dernier volet de ce web reportage propose de revenir sur ce qui caractérise concrètement l’adaptation dans l’estuaire de la Loire, mais aussi bien au-delà, au sein d’autres estuaires soumis aux risques côtiers et à l’élévation du niveau marin.

Stratégies et solutions d’adaptation : vers la flexibilité ?

Pour s’adapter aux risques côtiers, trois stratégies sont envisageables (Creach, 2021) :

  • agir sur l’aléa, c’est-à-dire limiter son impact sur le territoire à l’aide de protection en dur comme la digue qui bloque la submersion, ou à l’aide de solutions fondées sur la nature comme les marais maritimes faisant office de zone tampon ;
  • agir sur les enjeux, en limitant à l’origine l’extension d’urbanisation en zone à risque, ou en planifiant la relocalisation de biens et de personnes a posteriori ;
  • agir sur la vulnérabilité, en adaptant les enjeux aux aléas, par exemple en imaginant une architecture capable de faire face ou en acculturant les riverains aux risques et changements à venir pour, in fine, infléchir les pratiques.

Le recours à l’ouvrage, qui plus est dans les estuaires, est un grand classique de la gestion des risques inondation-submersion. S’il est toujours question de protéger ponctuellement certains enjeux, les stratégies réfléchies actuellement mettent en jeu d’autres manières de concevoir l’adaptation, avec en ligne de mire un objectif : gagner en flexibilité.

Rester et vivre avec, partir et mettre à distance : les villes d’estuaire entre expérimentation et principe de précaution

Vivre avec l’aléa en ville : au-delà du réglementaire, l’innovation et la prospective urbaine

Aller au-delà de la gestion « classique » des risques (celle des réglementations orchestrées par l’État) en privilégiant les logiques anticipatrices, l’expérimentation et le développement urbain, c’est que ce propose la solution du « faire avec » en agissant directement sur la vulnérabilité des enjeux.

C’est le cas à Saint-Nazaire, où un concours d’idée organisé par l’Etat s’est intéressé à la requalification d’une zone à risque submersion. Située au nord-est de la ville, à la frontière avec Trignac, cette zone au caractère urbain entre marais et estuaire présente un double enjeu pour la commune. D’un côté, l’urbanisation de ce secteur est encadrée par un document réglementaire, le Plan de Prévention des Risques Littoraux (PPRL). De l’autre, Halluard-Gautier est un quartier à valoriser pour la commune et ceci à plusieurs ordres : il s’agit d’un secteur en déprise qu’il convient de requalifier (urbanisation discontinue, maillage peu fonctionnel, de nombreux bâtiments vacants) ; il tient une situation stratégique, à proximité du centre-ville, du quartier portuaire et de la gare ; enfin, il s’agit d’une des dernières réserves foncières de la ville. Ces deux enjeux, a priori difficilement conciliables, vont le devenir progressivement dans les réflexions. D’abord aux termes de l’élaboration du PPRL en 2016 lorsqu’une zone de projet est désignée au sein du secteur urbain à risques, permettant ainsi l’aménagement de cette zone en concordance avec le document réglementaire. Ensuite, par le prisme d’un concours d’idées organisé par l’État ayant pour slogan « Mieux aménager les territoires en mutation exposés aux risques naturels », regroupant architectes et urbanistes sur la question « du vivre » dans la perspective d’un urbanisme résilient. Ainsi, dans le cadre de l’implantation d’activités commerciales et d’habitations, les bureaux d’études ont proposé plusieurs solutions d’adaptation comme du bâti surélevé, des cheminements hauts, ou la désimperméabilisation des sols. La plupart des propositions se concentrent sur la reconnexion du quartier à l’eau en réintroduisant une jonction marais-estuaire au cœur de la ville portuaire. Faire entrer l’eau dans la ville constitue alors un moyen de « réenchanter la technique » (Bonnet, 2016), en cela que l’esthétisant de sa gestion permet de considérer l’eau à la fois comme aménité et danger. Si, contrairement au slogan du concours « de la contrainte à l’opportunité », il est très délicat de faire du risque une opportunité, la municipalité a finalement décidé la création d’un parc urbain sur la majorité du secteur.

 

Saint-Nazaire Nord et l'inondabilité
Visuel proposé par le bureau d’études Natura Scop dans le cadre du concours d’idée AMITER. La proposition fait entrer l’eau dans le quartier en reliant marais et estuaire
Visuel proposé par le bureau d’études Natura Scop dans le cadre du concours d’idée AMITER. La proposition fait entrer l’eau dans le quartier en reliant marais et estuaire. Source : Natura Scop.

Ailleurs, le sujet du « vivre avec » est tout aussi prégnant :  

  • Dans d’autres conditions, le projet du quartier Pirmil-Les-Isles à Rezé et à Nantes est aussi un exemple de l’adaptation urbaine pensé au contact de l’estuaire. Contraint par l’inondation en bords de Loire, le projet implique le développement de différentes solutions d’adaptation, tel que la reconstitution de ripisylve (boisement en bord de rive), ou le pilotis.
  • Dans la Manche, un concours d’idée porté par le département (« Habiter le littoral manchois en 2050, une escale à Genêts ») propose de réfléchir à l’adaptation bâtie de Genêt, commune de la baie du Mont-Saint-Michel, face à son exposition aux risques littoraux. Véritable exercice prospectif, le concours se positionne de l’échelle du centre-bourg à l’échelle supra-communale en se projetant entre l’horizon 2050 et 2100.
  • Enfin, à l’exutoire de l’estuaire de la Seine, entre enjeux portuaires et enjeux urbains, le risque submersion est également un sujet prégnant dans l’agglomération havraise. Là où la construction d’un PPRL est encore toute récente, une forte volonté politique semble exister localement au sujet de l’aménagement en zone à risque submersion, avec le souhait de développer un aménagement adapté dans le cadre d’un urbanisme résilient :
    « Si les Hollandais s’étaient contentés de faire du droit, les Pays-Bas n’existeraient pas. » (Édouard Philippe, maire du Havre, au sujet de l’établissement du PPRL dans le journal Paris Normandie du 1er février 2022).
Extrait du PPRL du Havre : carte des zones d’aléa pour un événement de référence centennale et un scénario d’élévation du niveau marin de + 60 cm
Extrait du PPRL du Havre : carte des zones d’aléa pour un événement de référence centennale et un scénario d’élévation du niveau marin de + 60 cm. Source : DDTM 76

Il est clair que la mise en place de concours d’idées ou de grands prix d’aménagement dans ces secteurs sensibles marque une évolution des instruments de la gestion du risque. Cette évolution se construit autour d’une nouvelle gouvernance entre l’État et les collectivités, mais aussi à travers un objectif d’adaptation élargi, prenant en considération les enjeux environnementaux. Ainsi, il y a une approche intégrée entre gestion des risques et soutenabilité urbaine. Derrière ces réflexions, il y a aussi la volonté d’avoir davantage recours à un cadre et de solutions plus souples via le fonctionnement du projet. L’incertitude n’est plus une condition de l’aménagement, mais plutôt une ressource pour imaginer le futur.

Mettre à distance les enjeux les plus vulnérables et penser la requalification de l’espace

Dans d’autres cas, il est décidé d’agir directement sur les enjeux en délocalisant. Le risque est donc purement supprimé. À Saint-Brévin-Les-Pins, les activités sur site du Mindin vont être relocalisées. Le Mindin est une zone de 22 hectares localisée entre le pont de Saint-Nazaire à l’ouest, la Loire et la digue de Mindin au nord, l’étier du Bodon à l’est et la départementale 277 au sud. C’est un site historique ancien, notamment depuis la construction d’un lazaret en 1862 pour gérer les périodes de quarantaines pour les équipages et passagers en transit vers Nantes. Il n’a aujourd’hui rien perdu de sa fonction médicale, étant majoritairement occupé par des établissements médico-sociaux (750 résidents et 963 employés) découpés en cinq entités (EPHAD, foyer de vie, Institut médico-éducatif, etc.) au statut de personnalités morales de droit public. Le foncier de Mindin est donc sujet à des missions du service public.

C’est suite à la mise en place du PPRL de la côte de Jade en 2018 que l’aménagement du secteur a été interrogé. En effet, ce dernier est concerné par des zones d’aléa submersion de faible à très fort sur l’intégralité du site et des alentours. L’accueil de personnes vulnérables a donc été directement remis en cause par la région et le département. La délocalisation des établissements a été prononcée par l’Agence Régionale de la Santé (ARS) le 7 mars 2019 sous une échéance de 7 ou 8 ans. Si une partie des établissements a pour vocation de rester sur la commune, le projet du Conseil Départemental 44 et de l’ARS est de délocaliser une partie au nord de l’estuaire sur le territoire de Saint-Nazaire Agglo, et l’autre partie au sud de l’agglomération nantaise. En attendant, la communauté de communes a entrepris des travaux en 2023 afin de rénover et de rehausser la digue de protection.

Pour Mindin, le principe de précaution l’a donc emporté. S’il n’y a pas de démarche d’adaptation effective et assumée en dehors de la délocalisation ordonnée aux échelles supérieures, le cas du Mindin sous-tend de nombreuses problématiques. En effet, ces déplacements induisent des enjeux d’équilibres territoriaux entre le nord et le sud, et l’amont et l’aval de l’estuaire, mais aussi des enjeux de requalification avec des aspects patrimoniaux (sauvegarde de la porte du lazaret ou de l’église du Mindin) et fonciers (changement de statut, nécessité d’éviter la friche, etc.).

Dans le cadre de travaux exploratoires qui ne préfigurent aucun projet d’aménagement à ce stade, l’addrn a pu s’intéresser au futur de ce site en proposant différentes idées constitutives de potentiels scénarii d’adaptation. Étape par étape, au rythme d’une déconstruction et d’une reconstruction progressive, il s’agissait de recréer un secteur attractif et agréable pour la commune en adéquation avec le PPRL. Au-devant de l’estuaire la création d’un grand parc avait été imaginée, au même titre que la préservation et la valorisation du patrimoine médical ou que la création d’un point zéro pour le tracé de la Loire à vélo. En arrière, en zone moins exposée, l’hypothèse envisageait des logements insolites surélevés ou encore des parcelles agricoles.

Ébauche de proposition concernant la requalification du Mindin à la suite du déménagement des établissements médicaux sociaux
Ébauche de proposition concernant la requalification du Mindin à la suite du déménagement des établissements médicaux sociaux. Source : addrn.

L’estuaire en mouvement : réinterroger la fonction et la place des ouvrages de défense et de régulation de l’eau

En lien avec les dynamiques naturelles de l’estuaire et les changements en cours, plusieurs problématiques d’adaptation sont récurrentes dans ces interfaces. Elles concernent par exemple la remise en question d’ouvrages de gestion et de protection, ou bien encore la renaturation des rives. Bien que tous différents, trois sites et démarches peuvent ici être présentés afin de comprendre les réflexions en cours : le secteur de la digue de Corsept, celui l’ouvrage de Lavau-sur-Loire Pierre-Rouge et du bief de la Taillée aval, et enfin la problématique des aboiteaux sur les rives de l’estuaire du Saint-Laurent au Québec.

Reconnexion à l’estuaire et « transparence » de l’ouvrage

La problématique du site de Corsept se cristallise autour du projet du Conservatoire du littoral (CDL) qui consiste, sur le modèle du LIFE Adapto, à une réflexion prospective et paysagère sur l’avenir d’un ouvrage de protection. L’intérêt du CDL pour ce site émerge d’abord dans les échanges avec les acteurs locaux, puis se concrétise avec un appel à projets de l’agence de l’eau. Néanmoins, c’est la question de l’avenir de cet ouvrage dans le contexte estuarien qui fut le déclencheur.

En 1985 et 1986 le maire de Corsept appelle de ses vœux le creusement du chenal sud de l’estuaire. Cette demande intervient dans un contexte d’envasement de ce chenal, phénomène lié aux importants travaux pour l’extension du port de commerce sur la rive nord ayant contribué à dégager de grandes masses de sédiments. En lien avec le port de commerce, la digue de Corsept voit donc le jour sur la quasi-totalité du littoral de la commune en 1989 et 1990. Elle a alors deux objectifs : concentrer et évacuer les eaux des prairies humides utilisées pour l’agriculture et protéger les terres des marées et des submersions. Par la suite, l’ouvrage sera classé en 2012 comme digue de protection contre les inondations et les submersions. C’est à la prise de compétence GEMAPI de la communauté de commune que la problématique de la gestion de la digue émerge, notamment à travers le sujet du coût d’entretien. Ainsi, le déclassement de la digue sera demandé par la commune en 2018. C’est ce déclassement qui justifie alors le projet du CDL à propos de la réflexion sur l’avenir de l’ouvrage.

L’objectif est ainsi de réfléchir, avec les élus, habitants et acteurs concernés (surtout les agriculteurs), à différents scénarii d’avenir (paysager, économique, social, d’usage), interrogeant la mise en transparence de l’ouvrage, c’est-à-dire le fait de rendre à l’eau une certaine liberté de circulation à travers l’infrastructure. Ainsi, ces réflexions abordent tout aussi bien la recréation ou le maintien des continuités écologiques estuariennes, que la gestion des risques dans un contexte d’adaptation au changement climatique.

La digue de Corsept
La digue de Corsept. Source : Florian Drouaud
Derrière la digue, Corsept vue du ciel, entre estuaire et parcellaire agricole. Source : Conservatoire du Littoral
Derrière la digue, Corsept vue du ciel, entre estuaire et parcellaire agricole. Source : Conservatoire du Littoral

Repenser l’aménagement hydraulique dans la perspective de l’élévation du niveau marin : une prospective des pulsations estuariennes

Sur la rive nord de l’estuaire intermédiaire, le cas de Lavau-sur-Loire se positionne sur des enjeux similaires. Dans la perspective de l’élévation du niveau marin, les modifications sédimentaires et hydrauliques de l’estuaire posent de nombreuses questions : gestion des inondations, difficulté d’accès aux prairies pour les agriculteurs, réalimentation estivale des marais, ou encore modification de la biodiversité.
Au sein du secteur des anciennes îles de Loire, les marées et les courants de l’estuaire ont tendance à provoquer un envasement très important des canaux et prairies. Entre les ouvrages de régulation hydrauliques de la Taillée et de Lavau-Pierre-Rouge, ce phénomène réduit la capacité d’évacuation du canal et a donc une conséquence sur la gestion de l’eau et des inondations dans les marais amont. L’ouvrage de Lavau, totalement court-circuité par de nouveaux étiers (bypass), n’a alors plus de rôle actif dans la régulation des niveaux d’eau. Ainsi, à travers ces changements en cours, l’existence de l’ouvrage est remise en cause.
Afin de rassembler les études existantes et de travailler sur les scénarii d’évolution avec les acteurs techniques et économiques du secteur, une démarche a vu le jour entre le Syndicat de Bassin Versant du Brivet (SBVB) et le CEREMA. Il s’agit de réfléchir au futur de l’ouvrage de Lavau, mais aussi d’évoquer l’avenir de la pratique de l’élevage bovin sur ce secteur. En effet, en lien avec les modifications abordées précédemment, l’usage des îles pour le pâturage est de plus en plus compliqué : envasement des prairies, passages et accès dégradés, ou augmentation de la salinité. Cela remet en cause le déplacement des troupeaux, ainsi que leur alimentation en eau et en fourrage de qualité. Dans ce cadre, les choix d’aménagement futurs devront tenir compte de la richesse de ce milieu humide remarquable en évolution perpétuelle. Dans l’objectif de réaliser des modélisations précises et penser l’adaptation de ce secteur, la réflexion du SBVB et du CEREMA pourrait ensuite se prolonger en associant d’autres acteurs.

Bief de la Taillé et l’ouvrage de Lavau vue du ciel. By-pass de l’ouvrage sur la droite de l’image. Source : Pascal Collin.
Ouvrage de Lavau-Pierre-Rouge dégradé et envasement. Source : Florian Drouaud.
Bief de la Taillé et l’ouvrage de Lavau vue du ciel. By-pass de l’ouvrage sur la droite de l’image. Source : Pascal Collin.
Ouvrage de Lavau-Pierre-Rouge dégradé et envasement. Source : Florian Drouaud.
evolution de la gestion hydraulique

Le recul et le maintien des aboiteaux dans l’estuaire du Saint-Laurent (Québec, Canada)

Si l’estuaire du Saint-Laurent n’a pas son pareil, le tronçon de l’estuaire moyen (entre la pointe aval de l’île d’Orléans au nord de la ville de Québec et la ville de Tadoussac à l’embouchure du fjord du Saguenay), présente des dynamiques qui se rapprochent quelque peu de l’estuaire de la Loire en termes de marée, de salinité et d’environnement côtier. Au sein de ce secteur, sur la rive droite de l’estuaire, deux Municipalités régionales de Comté (MRC, l’équivalent des communautés de communes françaises), Kamouraska et Rivière-du-Loup, ont la particularité d’avoir sur leurs rives, des ouvrages hydrauliques typiques de l’Est canadien, nommés aboiteaux. L’aboiteau est un système importé de France par la communauté acadienne vers 1640 (Hatvany, 2002). Néanmoins, ce n’est qu’au début du 20e siècle, sous l’influence de l’intensification agricole, que sa construction débute dans ce secteur estuarien. On constate alors l’apparition de zones urbaines s’organisant derrière l’ouvrage, comme c’est le cas à Saint-André-de-Kamouraska. Système de drainage des eaux permettant d’endiguer les marais maritimes pour les transformer en terres agricoles fertiles, l’ouvrage présente un clapet qui s’ouvre à marée basse pour laisser s’écouler l’eau douce continentale, et se ferme à marée haute pour faire en sorte que l’eau salée n’envahisse pas les cultures (Hatvany, 2009).

En plus de son rôle agricole, l’aboiteau a depuis longtemps été considéré par certains riverains comme une protection contre les submersions et les inondations. Pourtant, l’ouvrage n’a pas de statut officiel aux yeux du gouvernement, il n’est donc pas entretenu par ce dernier. Ainsi, lors de la tempête de décembre 2010, l’ouvrage (non entretenu) cède face aux aléas de l’estuaire, laissant 60 habitations sinistrées (Laroche & Plante, 2022). Depuis rénové par la MRC, l’aboiteau a trouvé une fonction patrimoniale et récréative (parc, air de jeu pour enfant) auprès des riverains, en plus d’être le terrain de jeu de nombreuses espèces animales et végétales. Au contraire, plus en aval, des agriculteurs de la municipalité ont accepté le recul de presque 2 km d’aboiteaux afin de restaurer l’habitat côtier et de permettre, à terme, aux submersions côtières d’être absorbées par les marais maritimes en reconstitution. L’aboiteau, objet d’origine agricole, se révèle être, de différentes manières, une modalité importante de
l’adaptation à l’échelle locale.

L’aboiteau de Saint-André-de-Kamouraska vue de la digue menant au phare. Les habitations sont placées derrière l’ouvrage. Source : Florian Drouaud
L’aboiteau de Saint-André-de-Kamouraska vue de la digue menant au phare. Les habitations sont placées derrière l’ouvrage. Source : Florian Drouaud
L’aboiteau de Saint-André-de-Kamouraska submergé lors des grandes marées de décembre 2010. Source : Municipalité de Saint-André-de-Kamouraska dans Laroche et Plante (2021).
L’aboiteau de Saint-André-de-Kamouraska submergé lors des grandes marées de décembre 2010. Source : Municipalité de Saint-André-de-Kamouraska dans Laroche et Plante (2021).

Penser l’estuaire de demain : une recomposition permanente

L’organisation des grands estuaires est toujours en constante évolution. À travers les enjeux actuels, ce sont de nouvelles stratégies et donc une autre utilisation de l’espace qui se manifeste (Lecoquierre, 1998). Du fonctionnement des estuaires par le fond à leur développement à l’embouchure sous influence du commerce maritime, de leur phase d’industrialisation massive à la montée des préoccupations environnementales, de la séparation de la ville, du port et de l’estuaire à leurs retrouvailles mutuelles, les estuaires prennent maintenant la trajectoire de la prise en compte de leur adaptation face aux changements climatiques et notamment face à l’élévation du niveau marin. Qu’elles soient impulsées par injonction ou par initiative, les quelques démarches abordées précédemment interrogent la flexibilité de l’aménagement au regard des incertitudes qui caractérisent l’interface estuarienne, maintenant et dans le futur. Qu’il y ait véritablement une recomposition spatiale ou non, ces réflexions peuvent être l’occasion de repenser la manière dont on pratique et fabrique le territoire afin qu’il n’y ait pas de « […] territoires gagnants et perdants » (Touili et al., 2017) dans ces processus d’adaptation. Pour gagner en flexibilité, le territoire estuarien doit être considéré en recomposition permanente. Un processus réflexif qui interroge l’agilité du droit français et la gouvernance locale et supra territoriale pour anticiper des aménagements (voire des déménagements) qui s’imposeront à la répartition des usages sur les rives de l’estuaire de la Loire.  

 

Références

Bonnet, F., Morel, J.-F., & Reuillard, J. (2016). Atout risques : Des territoires exposés se réinventent. Éditions Parenthèses.

Creach, A. (2021). Des littoraux à la vulnérabilité accrue face à l’élévation du niveau de la mer. In D. Mercier, Les impacts spatiaux du changement climatique. ISTE éditions.

Hatvany, M.G. (2002). The Origins of the Acadian Aboiteau: An Environmental Historical Geography. Historical Geography, 30 (2002): 121-137

Hatvany, M.G. (2009). Paysages de marais : Quatre siècles de relations entre l’humain et les marais du Kamouraska. La Pocatière, Québec : Société historique de la Côte-du-Sud et Ruralys

Lecoquierre, B. (1998). L’estuaire de la Seine : Espace et territoire. Publications des Universités de Rouen et du Havre

Touili, N. & Vanderlinden, J.-P. (2017). Flexibilité adaptative et gestion du risque : étude de cas des inondations dans l’estuaire de la Gironde (France). VertigO, 17(2).