Mettre en gouvernance(s) l’estuaire de la Loire pour s’adapter ?
Basse Loire, écharpe verte, aire métropolitaine de Nantes-Saint-Nazaire… Des noms différents, employés par des acteurs différents, pour décrire un même espace aux réalités hétérogènes : l’estuaire de la Loire. Face au manque de stratégie unifiée et à une vision considérée comme court-termiste, certains acteurs territoriaux soulignent le rôle crucial de la gouvernance dans (et de) l’estuaire.
Cette deuxième partie propose donc de revenir sur les éléments de gouvernance évoqués dans cette enquête exploratoire, afin de tenter de comprendre de quoi est fait ce cadre et ce vers quoi il évolue. En d’autres termes, comprendre comment l’adaptation est gouvernée aujourd’hui, et comment elle peut l’être demain. Derrière cela, il y a l’analyse des interactions entre acteurs (publics, privés, associatifs) et celle des incidences du changement sur le processus de gouvernance de l’estuaire. La gouvernance est ici entendue en tant qu’espace d’action politique (Carter, 2018) luttant pour la coproduction d’un destin collectif (Lardon et al. 2008).
Des évolutions réglementaires à prendre en considération dans le cadre d’une stratégie d’adaptation
Certaines évolutions, réalisées ou sous-jacentes, apparaissent comme déterminantes pour les acteurs. Par des jeux d’échelles, et parfois au détriment de l’ensemble estuarien, ces évolutions provoquent une redistribution des compétences et modifient la configuration de certains documents. Alors, dans ce paradigme mouvant, où et comment peuvent prendre place des processus adaptatifs dans l’estuaire de la Loire ?
L’abrogation de la Directive territoriale d’aménagement (DTA) est un événement souligné de nombreuses fois. Progressivement devenu caduc suite à l’abandon de projets d’équipement d’envergure (l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la centrale de Cordemais, ou encore Donges-Est), le document fait place à un cadre plus actuel. Mais ce processus d’abrogation laisse cependant l’échelle de l’estuaire comme un « sujet orphelin » (entretien): l’interface n’étant plus au centre d’un document de planification majeur. Si durant un instant le « Pacte de l’estuaire » se dessinait pour remplacer la DTA à l’échelle adéquate, le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) constitue un nouveau cadre d’action à considérer à l’échelle régionale.
Pour autant, même si le SRADDET intègre pour partie des problématiques estuariennes (plan d’action Estuaire post-carbone, capacité d’accueil et d’adaptation dans les objectifs 18 et 19), il ne fait pas directement le lien avec la loi Littoral comme le faisait la DTA. Sans avoir les mêmes capacités prescriptives, le SRADDET aurait pu jouer ce rôle mais ne s’en est pas emparé. Ainsi, malgré l’arrivée du SRADDET, la disparition de la DTA « génère un vide » qui apparait « compliqué » à gérer (entretien), qui plus est étant donné les mesures et périmètres environnementaux que portait le document pour l’estuaire.
« Intégrer la question du risque inondation dans l’ensemble des stratégies locales tel que précisé dans l’objectif relatif à la Loire, son estuaire et ses affluents »
« Intégrer la gestion des risques dans les principes d’aménagement et conférer leur rôle intégrateur aux SCoT en croisant […] les enjeux de développement des territoires et de protection aux risques des populations et des écosystèmes »SRADDET, objectif 25
Le SRADDET, en tant que « document chapeau », désigne alors le rôle essentiel du SCoT dont les dispositions ont également été renforcées par les ordonnances de la loi Elan. À travers cette loi, la portée juridique du SCoT pourrait même s’en retrouver accrue, faisant de lui la « pierre angulaire de ces nouvelles dispositions » (Struillou, Huten, 2021) liées à la loi Littoral et aux risques. D’ailleurs, ces dispositions pourraient gagner en flexibilité à l’avenir étant donné le pouvoir d’appréciation qui semble leur avoir été offert. Le « toilettage habituel » de ces documents de planification (entretien) s’est donc mué en reconfiguration complexe, avec pour conditions la mise en compatibilité avec les orientations des autres documents (SDAGE, SAGE, PGRI, SRADDET). Pour certains, dans le futur, les élus et acteurs se saisiront de ce nouvel outil comme levier pour consolider leurs stratégies sur la thématique de l’adaptation, pour d’autres, au contraire, les actions des structures porteuses de SCoTs semblent encore trop méconnues (entretien). Il faudra aussi composer avec des nouvelles variables comme l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) dont les conditions d’application sont précisées par la loi Climat et Résilience, et qui participent au foisonnement des évolutions réglementaires sur le territoire. Ces évolutions, qui redistribuent les cartes par rapport à la prise en compte de l’environnement et du risque, sont donc essentielles à intégrer. Mais, compte tenu du gigantisme d’un ensemble morphologique de cette taille, y aurait-il une instance ou d’autres formes de coopérations mobilisables à l’échelle de l’estuaire pour penser l’adaptabilité, voire gérer ses processus ?
La DTA proposait différents zonages de protection et d’inventaire, basés sur l’agrégation de plusieurs couches, comme les sites Natura 2000 ou les Zones de Protection Spéciale (ZPS). Son périmètre (pas loin de 200 communes), pouvant paraître singulier, avait un fil conducteur: l’ensemble de l’estuaire de la Loire. Désormais, les périmètres des SCoTs du Pôle Métropolitain de Nantes Saint-Nazaire (PMNSN) et du PETR du Pays de Retz se partagent, de manière beaucoup plus réduite, l’estuaire entre le Nord et le Sud.
Le manque d’une gouvernance à l’échelle de l’estuaire de la Loire
Une instance de gouvernance à l’échelle de l’estuaire serait « un vrai plus » au niveau local (entretien). Si une gestion fine est requise, la nécessité d’un encadrement estuarien et l’importance de l’emboitement des échelles de gouvernance transparaissent dans les discours à plusieurs titres, notamment avec la gestion de l’eau. Dans un contexte où les tentatives de gouvernance autour de l’estuaire ont été nombreuses (Comité de l’estuaire, DTA ou avec le GIP Loire estuaire à ses débuts), de récents projets font référence à l’ensemble.
De manière générale, l’opposition Nord/Sud est relatée comme un point crucial. Si depuis longtemps le dialogue entre les deux rives est décrit comme insuffisant (entretien), les travaux émergeant entre les deux structures porteuses de SCoT (PMNSN et PETR du Pays de Retz) sont à souligner. Née d’une volonté politique de dialogue dans le cadre des enjeux de transition et face aux perspectives des changements à venir, cette coopération estuarienne prendra forme autour d’un projet de bonne santé environnementale (états initiaux de l’environnement) à l’occasion de la révision des SCOTs. Si la teneur de cette association résulte de la discussion, la simple idée d’une collaboration entre le PMNSN et le PETR Pays de Retz réintroduit la question de l’ensemble. Loin de vouloir complexifier la gouvernance locale, plusieurs acteurs rappellent que l’objectif d’une gouvernance d’ensemble est aussi de concevoir des stratégies partagées autour de cette entité structurante qu’est l’estuaire.
Sur le fond, la nécessité d’aller au-delà d’un simple suivi de qualité environnementale se fait entendre chez les acteurs territoriaux. Impulsé par des évolutions législatives et réglementaires conséquentes (loi Elan et modernisation des SCoT, objectif ZAN, SRADDET), le cahier des charges de ce projet entre SCoTs engagera une réflexion prospective sur les solutions d’adaptation au changement climatique, notamment autour des risques inondation et l’élévation du niveau marin. Ce travail pourra formaliser un axe stratégique autour de l’adaptabilité de l’estuaire de la Loire, mettant les effets du changement climatique au centre du débat estuarien.
« C’est encore trop compartimenté »
« On n’a pas tous la même vision des problèmes de l’estuaire »entretien
« […] dans la gouvernance de l’estuaire, on ne peut pas seulement parler de qualité de l’eau, il faut aller plus loin. »
entretien
« […] l’estuaire de la Loire et plus généralement les estuaires sont typiquement des entités géographiques sur lesquelles on a quasiment tout testé et sur lesquelles on essaye de faire naitre un territoire »
Fattal, 1999
La gouvernance de l’estuaire par le passé
Entre les années 1960 et 1990, plusieurs opérateurs territoriaux (Durand et Landel, 2015) ont occupé la scène locale autour des problématiques de développement et d’environnement. C’est à travers l’émergence de grands projets d’aménagement portuaires et des interrogations environnementalistes grandissantes que va naître une volonté particulière de faire territoire autour de l’estuaire de la Loire. L’Organisme régional d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine (OREAM) créé en 1966 va être le point de départ de cette structuration, entre la préparation de son schéma directeur (SDAAM) et la réalisation de la première étude d’évaluation environnementale de l’estuaire (1976) sous l’impulsion de la convention RAMSAR survenue quelques années auparavant (Fattal, 1999). Entre rapports alarmants (« Estuaire 78 » ; Chapon, 1979) et directive européenne (Oiseaux, 1979) qui marquèrent les positions dans l’estuaire, les années qui suivirent virent l’émergence de structures qui n’auront jamais leurs pareils après les années 2000 : le Comité scientifique pour l’environnement de l’estuaire de la Loire (CSEEL), l’Association pour la protection de l’environnement de l’estuaire de la Loire (APEEL) ou l’association communautaire de l’estuaire de la Loire (ACEL). Si ces entités défendaient des intérêts parfois divers, elles mobilisaient des acteurs qui l’étaient tout autant (élus, représentants des services publics, usagers, le port, l’agence de l’eau, etc.) avec pour objectif de se saisir des problématiques estuariennes, au Nord comme au Sud. En 1984, les conclusions du CSEEL abordent notamment la protection des vasières, les problématiques de modification du lit de la Loire, la création d’une réserve naturelle ou encore « l’urgence d’un recours réglementaire pour concrétiser la notion d’écharpe verte » (entendu comme l’ensemble des zones humides dans le SDAAM, 1971). L’association est aussi force de proposition pour mener des études et pour donner un avis lors de projets d’aménagement concernant l’estuaire. Abrogée en 2021, la DTA, conciliant projets structurants et protection de l’environnement, fut un des derniers vestiges de cette époque aux intérêts à la fois vifs et hétérogènes autour de l’estuaire. Ces opérateurs territoriaux (structure institutionnelle, juridique, ou plus informelle), omniprésents par le passé, pourront-ils se réinventer dans un paradigme de transition écologique ?
La planification spatiale de l’aire métropolitaine de Nantes Saint-Nazaire selon le SDAAM (1970). L’estuaire de la Loire est au centre d’une métropole d’équilibre dont le dessin s’insère plus largement dans une géographie du « Grand Ouest ».
Projets de parc et réserve : des outils de gouvernance longtemps envisagés, jamais réalisés ?
Si concevoir un espace de réflexion autour des SCoTs peut faciliter la discussion sur de nombreux sujets environnementaux, la création d’espaces naturels protégés ne s’est toujours pas réalisée, malgré les nombreuses tentatives, au Nord comme au Sud de l’estuaire. Pourtant, nombreux sont les zonages de protection et d’inventaire (Parc Naturel Régional de Brière, ZNIEFF, Natura 2000, réserve de Grand Lieu plus au Sud) qui montrent la grande diversité des instruments juridiques disponibles (Chadenas et al. 2015). Cependant, là encore, le manque d’une gouvernance « supra » et transversale se fait sentir (entretien).
Depuis plus de 10 ans, deux projets à échelle supérieure cherchent à voir le jour :
- Le projet de Réserve naturelle nationale (RNN), le plus ancien (2009), porté par l’État avec la DREAL. Son périmètre se concentre sur les zones marnantes. C’est un outil de protection considéré comme fort, avec une réglementation, un plan de gestion, un comité consultatif et scientifique. Après avoir été suspendu à l’élaboration du Pacte de l’estuaire, le projet a été alternativement relancé en 2015 par Ségolène Royal ministre de l’Environnement, évoqué en 2019 par l’association France Nature Environnement (FNE), puis par l’État durant l’abrogation de la DTA. Cependant, ce dernier a rapidement été freiné par les élections et le manque de portage. Pourtant, réalisé en 2016, un dossier de demande de prise en considération de la RNN conclu en la pertinence du zonage, notamment en matière de gouvernance. La RNN reste, pour le moment, un essai « infructueux » pour injecter de la gouvernance dans l’estuaire de la Loire (entretien).
- Le projet de Parc naturel régional (PNR) est soutenu depuis 2011 par les associations Sud Loire Avenir et Estuarium. C’est un outil de développement du territoire à travers l’environnement. Une étude de faisabilité a été réalisée en 2015 et des groupes de réflexion menés entre 2017 et 2021. À ce jour sur le périmètre déterminé, 39 communes sont concernées, au Nord comme au Sud, certaines ayant voté en faveur de la réflexion, d’autres non.
Plusieurs fois, le corpus d’entretiens appuie sur la dimension stratégique et politique des projets de PNR et de RNN, qui sont deux projets aux « logiques qui s’opposent » (le PNR étant présenté comme un contreprojet de RNN). Il y a quelques années certaines communes étaient concernées par les deux projets, ce qui pour certains acteurs locaux a contribué à brouiller les pistes sur l’avenir de cette gouvernance. Si le projet de PNR semble davantage avancé que d’autres, la question de son imbrication avec celui de la Brière se pose (entretien). Un tel zonage permettrait de traiter une grande partie des problématiques environnementales de « l’écharpe verte », chapelet « d’espaces de nature » (Miossec, 2004) en zones basses.
« Aujourd’hui il y a une volonté de gouvernance de l’estuaire, de la formalisée, après est-ce que c’est avec une entrée protection ou avec une entrée globale… »
entretien
Pour conclure…
Depuis les années 1960 et la politique des métropoles d’équilibre, la gouvernance de l’estuaire de la Loire semble en chantier, prenant en pour preuve ces multiples tentatives à acronymes variés (OREAM, CSEEL, APEEL, ACEL, etc.). Mettant en exergue la dichotomie entre le temps local et national, l’abrogation de la DTA a mis en mouvement des initiatives et a permis, par le biais de lois nouvelles, la montée en puissance d’autres échelles et documents (SCoT). Dans le cadre de ce nouveau paradigme local, où et comment le sujet de l’adaptabilité face aux changements prendra forme ? Sur le domaine littoral (et par extension, le domaine estuarien) les SCoT semblent capter les mesures et objectifs relatifs au sujet, par l’intermédiaire de la DTA, la loi Elan, Climat et Résilience ou par ordonnance de modernisation. Dernièrement, de nouvelles relations entre la rive Nord et Sud se tissent sans qu’il soit encore possible de présager de l’intensité des relations à venir. L’espace politique dans lequel prendra forme une éventuelle recomposition territoriale est-il fertile ? Ces gouvernances pourraient-elles permettre de penser l’estuaire « en transition » ?
Références
CARTER., C, 2018. « The politics of aquaculture, sustainability interdependance, territory and regulation in fish farming », Routledge. ISBN : 978-1-138-49922-5
CHADENAS, C., MENANTEAU, L., POURINET, L., 2015. « Les estuaires, espaces de transition entre continent et océan. L’exemple de la Loire. », in Guillaume Jacques (dir.), Espaces maritimes et territoires marins, Ellipses, 2015, chapitre 10, pp. 195-211.
COMITE SCIENTIFIQUE POUR L’ENVIRONNEMENT DE L’ESTUAIRE DE LA LOIRE, 1984. « Guide de gestion de l’espace naturel estuarien à suivre pour les activités nouvelles » (1984), éditions du rapport final : conclusions et recommandations – LES GRANDS DOSSIERS
DURAND, L., LANDEL, P-A., 2015. « L’émergence de l’opérateur territorial de l’énergie », Géocarrefour, 90/4 | 2015, 361-369.
FATTAL, P., 1999. « L’émergence de la notion d’environnement dans l’estuaire de la Loire ». Côtes et estuaires ; milieux naturels : actes du 124e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Nantes, 1999 / dir. Jean-Loup d’Hondt, Jacqueline Lorenz – Paris : Ed du CTHS, 2002. ISBN : 2-7355-0514-6
LARDON, S., CHIA, E., ET REY-VALETTE, H., 2008. « Introduction : Dispositifs et outils de gouvernance territoriale », Norois, 209 | 2008, 7-13.
MIOSSEC, A., 2004. « Les littoraux entre nature et aménagement ». Paris, Sedes, coll. Campus, 191 p.
SRADDET, 2020. « Synthèse de l’état des lieux, stratégie et objectifs », Région Pays de la Loire
STROUILLOU, J-F., HUTEN, N., 2021. « Le juge administratif, le littoral et la mer après la loi Elan », LexisNexis, 140.p. ISBN : 978-2-7110-3586-1